Projets
En partant de la notion de crise, ils proposent une réflexion qui repose sur deux axes.
Le premier axe s’intéresse aux évolutions méthodologiques résultant des restrictions sanitaires, et à la manière dont nos objets de recherche, mais aussi la manière de les appréhender, s’ajustent à cette situation. Il s’intéresse notamment à l’usage des techniques d’enquête numérique et à leur enjeux au cours de l’enquête de terrain.
Le second axe propose une interrogation sur la manière dont la crise sanitaire, affectant autant – bien que différemment – le sujet et l’objet de l’enquête, conduit à une crise qui est également une remise en question de la profession de jeune chercheur en sciences sociales.
Axe 1, ajustements méthodologiques et enquête en ligne
Mathilde Bielawski
Doctorante, université Lumière Lyon 2, LADEC
La « fabrique du patrimoine » en Tunisie à l’épreuve du tout numérique
Les deux dernières années de crise sanitaire ont bouleversé la méthodologie d’enquête de terrain en SHS (Saaidia, 2020), plus particulièrement en anthropologie où la mise en pratique de l’observation participante semblait compromise avec la mise en place des protocoles sanitaires. Il a fallu apprendre à vivre avec l’incertitude (LADEC, 2021). Sur mon terrain de recherche mené depuis 2013, le rapatriement des ressortissants français non-résidents de Tunisie a rendu impossible le suivi du projet d’inscription de l’île de Djerba sur la liste du patrimoine mondial. Il a fallu comme pour beaucoup de chercheurs m’adapter à ces nouvelles contraintes de distances. L’usage des outils numériques et des réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter devenant devant la norme, le suivi à distance a été facilité. Il en va de même pour les acteurs de ce projet de patrimonialisation qui ont systématisé l’usage de ces outils. L’objectif de cette communication est donc de discuter la manière dont la crise sanitaire a modifié la « fabrique du patrimoine » (Heinich, 2009) et sa communication. En quoi cette crise sanitaire est saisie comme étant une opportunité de communiquer le projet à une plus grande échelle grâce à l’utilisation de ces médias numériques ? En d’autres termes, cette proposition elle a pour but d’interroger comment les pratiques patrimoniales s’adaptent aux technologies numériques.
Gaëlle Hemeury
Doctorante, université de Tours, CITERES
Faire de la recherche en contexte pandémique et autoritaire : opportunités et limites d’une adaptation 2.0.
Dans le cadre de mes recherches universitaires qui portent sur l’appropriation artistique de l’espace public en Algérie, j’aborde, au prisme de l’art public, les contraintes qui pèsent sur les artistes ainsi que les chercheurs en contexte autoritaire. En 2019, alors que la société algérienne offre des opportunités de recherche intéressantes au regard du Hirak qui influe sur la vie culturelle et artistique (Aggoun, 2021), la pandémie mondiale Covid-19 contraint les États à confiner et à fermer leurs frontières. Dès lors, mon accessibilité au terrain est remise en cause. Toutefois, malgré le contexte pandémique et autoritaire qui s’exerce à l’encontre des artistes durant cette « période de frontières fermées », j’ai décidé de poursuivre mon terrain d’étude à distance. À cet effet, j’ai adapté et questionné mes outils méthodologiques et notamment l’usage du numérique (et des réseaux sociaux) tant pour le chercheur que pour l’artiste pour lequel il intervient comme un medium « continuum de l’espace public » et une illustration «du contexte contraint » algérien (Dahlgren, 2020). Dès lors, il s’agit d’étudier l’adaptation aux crises du chercheur et du sujet observé et analyser la perspicacité de cette dernière au regard des résultats. Aussi, nous exposerons tout d’abord l’hybridité des visites de terrain réalisées en Algérie depuis 2017 au regard des contextes (1). Ensuite, nous questionnerons les méthodes et les stratégies employées pour s’adapter aux situations et aux interlocuteurs (2). Enfin, nous évoquerons la pertinence de ces recours méthodologiques à savoir les opportunités offertes et les limites qu’ils représentent (3).
Axe 2, la profession de jeune chercheur en questions
Eleonora Landucci et Lena Richter
Doctorantes, Universitat de Barcelona et Radboud University Nijmegen, MIDA
Créativité en temps de crise(s) : réflexions sur positionnement et éthique lors d’ethnographies au Maroc
Bien avant l’arrivée du Covid-19, le concept de « crise » a accompagné les questionnements critiques du terrain ethnographique dit « traditionnel » (Faubion et Marcus 2009 ; Amit, 2000 ; Gupta et Ferguson 1997). Pourtant, la pandémie a intensifié cette crise de l’anthropologie, en bouleversant ses pratiques: cela inclut repenser le terrain, le rôle des chercheu-se-r-s et des interlocut-rice-eur-s et les méthodes d’enquête. Pour nous, en tant que chercheuses, cela a été un moment de réflexion et de repositionnement au sein de ces nouveaux « terrains hybrides ». Dans ces circonstances pandémiques, de nouvelles approches telles que la patchwork ethnography (Günel et al., 2020) ont vu le jour. À partir de ce constat, nous estimons que la créativité peut être un élément important dans le processus de réflexivité pris en compte par l’analyse anthropologique.
Sur la base de nos deux recherches doctorales – les mouvements islamistes marocains et l’athéisme au Maroc – et nos expériences de terrain pendant les restrictions liées au Covid-19, cette session se concentre sur la créativité en tant qu’outil pour explorer les aspects éthiques et méthodologiques de la recherche qualitative en temps de pandémie. Les outils créatifs, tels que les dessins réflexifs ou les élaborations visuelles numériques, ne sont pas nécessairement considérés comme faisant partie du canon académique établi, lequel tend souvent à dévaloriser les formes de créativité. Pourtant, les méthodes créatives peuvent aider à aborder les questionnements internes, les dilemmes éthiques et les enjeux liés au positionnement et à la relationnalité qui surgissent lors d’une enquête ethnographique. Ainsi, à partir de nos deux études de cas, nous visons à traiter de manière critique et interactive la relation entre créativité et crises.
Laura Monfleur
Doctorante, université de Tours, CITERES
Ajouter de l’incertitude à l’incertitude : faire de la recherche doctorale en contexte de crise multidimensionnelle
Cette communication vise à soulever les enjeux de trois crises : la crise pandémique, la crise de la recherche en contexte autoritaire et la crise de l’institution universitaire. Cette dernière crise (absence de financement, baisse des possibilités de titularisation, précarisation des statuts, mise en compétitivité des projets de recherche) touche particulièrement les doctorant·e·s et participent de leur statut de précarité financière mais également sociale et politique. Cette précarité rend parfois difficile les mobilisations contre des projets gouvernementaux qui visent à fragiliser l’institution universitaire et à la façonner sur un modèle néolibéral et compétitif (comme la loi de programmation pluriannuelle de la recherche). A cela, s’ajoutent les contraintes de terrain émanant de terrains sensibles marqués par exemple par l’autoritarisme (répression des chercheurs, interdiction d’accès au terrain, etc.). Enfin, la pandémie de la COVID-19 a révélé et exacerbé ces deux mises en crise de la recherche doctorale : fermeture des frontières, prolongement des bourses laissées à l’appréciation des universités créant des inégalités, isolement socio-spatial, etc. A partir de l’expérience d’une recherche doctorale en géographie sur l’autoritarisme au Caire après la révolution, il s’agit donc d’analyser comment se construit une précarité multidimensionnelle où l’incertitude conjoncturelle s’ajoute à une incertitude devenant structurelle par la conjonction de ces trois crises.